mardi 25 septembre 2012

Buddha Bar

Quartier chic, rue sombre à peine. L’entrée d’un bar branché. Deux colosses souriants, tout dépend. Ensuite un palier étroit à l’éclairage minuscule et aussitôt de larges marches qui disparaissent vers les étages inférieurs. Rouge sur fond noir. Mes yeux de myopes ne me permettent pas d’appréhender tous les détails. Sans lunettes, j’ajuste mon nez et parcours la foule. La moquette sous les talons est vraiment épaisse. Je m’enlise à chaque pas, peinant à conserver une attitude détachée un cocktail « ...et Denise » en équilibre au bout de mes doigts, tandis que je m'ecrime à ne pas perdre de vue mes amies. Dans une encoignure nous apercevons une brèche et aussitôt nous disparaissons dans le renfoncement sombre où siège une nichée de poufs étroits. Nous découvrons une vue imprenable sur le restaurant circonscrit dans la fosse et sur le chemin de ronde semé d’alcôves festonnant le bar.
Je prends la pose et laisse mon radar rôder alentour. Musique forte, mes épaules accompagnent la mesure. Si la sono est parfaite, la climatisation l’est également. Les miettes olfactives des assiettes, la ritournelle des saveurs brassées par les serveurs qui se croisent et pellettent les parfums de cuisines en contrebas affichent senteurs mortes. Depuis mon perchoir mon renifloir plonge, mais reste au sec. Film muet. Je change mon nez d’épaule et zoom alentour. Va et viens soigneusement réglés, les volutes babillent: parfums tourbillonnants et talons vertigineux; parfums affutés et vestes taillées au cordeau; parfums tactiles et chemises moins trois boutons; parfums mille-feuilles et robes minuscules. Je ne suis pas la seule aveugle, fruit de longues habitudes de noctambules en chasses le monde souterrain adopte un sens animal indispensable pour se dénicher : l’odorat.
Je respire ainsi des eaux de toilette dandy mèches clins d’œil et corps de liane, brocardé par hommes petits bidons et coiffures disciplinés. L’un d’eux boucle plusieurs tours des galeries en quête de nouveauté, dispersant des bribes d’informations aromatiques jusqu’au moment où repassant devant nos sièges crapauds il pique sur nous tout sourire et hurle une question sans doute anodine afin d’engager la conversation. Mes oreilles ne captent rien compte tenu de la musique assourdissante, mais mon nez happe tout, sans remords. Et la mécanique de s’emballer. Enfin, pas celle souhaitée par le baratineur, mais celle de mes cils olfactifs qui bien entrainés, jouent au yoyo en mode automatique. Hop ! Analysé, décortiqué, découpé en rondelles, le séducteur masqué, ah, ah ! Même myope, je vois bien que ce parfum est trop jeune pour toi !
Il existe une expression pour se retenir de parler trop vite : il suffit de tourner sa langue sept fois dans sa bouche. Mais rien pour museler l’odorat. Pourtant, j’ai la faculté de ne pas prêter attention à tous les signaux, de réguler le flux d’information et d’opérer un tri sélectif, mais à cet instant, prise dans le tournis de la nuit, engourdie par l’alcool et la conversation à bâton rompue avec mes amies, je ne peux pas empêcher mes synapses de me canarder d’images dès molécule gobée. Mon nez baisse sa garde et me voilà prise en flagrant délit d’analyse universelle. Rompue aux clichés prêts à consommer, aux fantasmes publicitaires et aux conventions: j'ai identifié le nom et la marque, juxtaposé la photo du manequin et constaté l’absence de corrélation : ce parfum ne colle pas à ta peau. Qu’importent l'âge, la tournure ou les paroles séduisantes, impitoyables, mon nez donne la réplique.
Fort heureusement, je ne suis pas un animal mais un être humain. Je ne siffle pas par les naseaux comme un félin froissé. Mon esprit et mon éducation reprennent le dessus et, souriante, je hoche la tête et explique en hurlant à mon tour à l'adresse de l’homme charmant  dont le seul défaut est de ne pas correspondre à l'égerie, que nous sommes entre amies pour fêter une année de plus et quelques rides, et que nous n'avons pas pas le désir de partager un verre en sa compagnie, qu’importe son parfum.

Les parfumeurs sont vraiment pénibles…









vendredi 14 septembre 2012

Les bonbons

D’abord, trouver un prétexte.
Par exemple, l’anniversaire d’un de mes enfants. J’en ai pondu 8, forcément une date va être célébrée sous peu.
Ah mais, je n’ai pas donné naissance à autant de rejetons.
Pas de problème, je modifie ma stratégie. Voyons, voyons, que pensez-vous de celle-ci ? Je dois élaborer une gamme d’eau de toilette pour des minots qui goûtent les anniversaires branchés, ou bien, il me faut imaginer le parfum de gels douches plus vrai que nature et celui de savonnettes rigolotes pour hôtels Disneyland. L’occasion d’aller puiser l’inspiration dans le monde bienveillant de l’enfance….
Bernique ! En réalité, l'idée se trouve sous mes doigts : écrire un post sur ce thème. Je l’ai fait pour les chips, en toute logique je peux donc poursuivre sur cette lancée.
Je déboule aussitôt au rayon cochonneries de mon supermarché et charge le caddie d’articles absolument pas sélectionnés : je prends tout. J’explique ensuite d’une voix détachée à la caissière surprise par le nombre de paquets couleurs arc-en-ciel, que c’est l’anniversaire de mes quintuplés, et hop, conscience tranquille, je retourne à la maison pour explorer le parfum des paquets de bonbons.
En accord avec ma pomme, j’adopte un protocole d’analyse très stricte : ne pas dévorer d’échantillon en cours d’étude pour parer à l’éventualité d’une saturation des papilles, d’une pollution rétronasale et d’un nez en déroute et, par voie de conséquence, improductif.
Ensuite, je m’abstiens d’éventrer les sachets : je bride sévèrement mon instinct gourmand qui bondit en stade régressif, bulle de salive au coin de la bouche et paupière claquette. Je saisis la paire de ciseaux et, d’un geste mesuré, je découpe le premier paquet à trois centimètres du bord. Illico, je plonge ma tête. J'inspire à fond le parfum de la gélatine sucrée gaiment coloré et décroche brutalement ! Je siffle par les naseaux la poisseuse pestilence : Bêêêrk ! Mais c’est immonde ! Rien à voir avec la forme du bonbon, encore moins avec son goût si bien aromatisé.
Imaginez mon courage pour entrouvrir le sachet suivant où j’ai penché un nez prudent. Meilleur. Mouais, bof. Écœurant, mais beaucoup moins repoussant.
Et ainsi de suite. De surprise agréable en déroute passagère, j’ai remonté le temps et traduit des effluves de jours de fête sur un petit carnet. J’ai soigneusement noté la marque et la variété des bonbons, pris le temps d’une description soignée, soupirée en prenant le plafond à témoin de ma résistance aux arômes parfois séducteurs, et découverts dans ma candeur que certains souvenirs ne faisaient plus le poids face à la réalité.
Je vous épargne la centaine d’expressions que j’ai consignées sur mon calepin, tandis que je m’oxygénais telle une asthmatique avec mes sachets de bonbons pliés froissés autour du nez. Je reconnais un certain étourdissement vers la fin de cette énumération et il me semble que j’ai sauté le repas du soir…
Je vous propose de savourer les mots étranges qui sont spontanément venus à mon esprit tandis que je reniflais l’odeur des bonbons nichés dans leurs sachets. Des effluves aux antipodes des saveurs que j’ai pu apprécier par la suite. Toutefois, afin de vous éviter une indigestion, j’ai opéré un tri. Vous trouverez uniquement les noms des confiseries dont les parfums m’ont paru intrigants ou inattendus. J’ai humé, fleuré, frôlé, flairé et gobé goulûment 32 sachets de berlingot, bêtise, boule de gomme, caramel, chatterie, chocolat, dragée, friandise, gourmandise, papillote, pastille, praline, sucette, et autres sucrerie ...
C’est ainsi que les « œufs au plat » de la marque Haribo ont brutalement provoqué ce rejet de tout mon corps évoqué plus haut. Un parfum de liquide vaisselle au relent de pamplemousse âpre et de vieille poissonnerie, inimaginable lorsque l’on contemple ces petites choses lisses et tendres.
Les tout ronds « Dragibus » barbotent dans la Pina Colada. L’effet d’ensemble est soyeux, doux, poudré, apaisant comme un soin cosmétique !
Les « Mi-Cho-Ko » de la Pie qui Chante, si, si, ils existent toujours, ne sentent absolument pas le cacao, mais la cacahuète, la farine et le lait caillé.
Les divins oursons mignons à la guimauve couverte d’une fine pellicule de chocolat, que tout le monde s’arrache, dégagent une tendre odeur de bébé bourré au lait chaud, de noix de coco râpée, et de malt.
Les inévitables bouteilles bicolores Cola, sentent la télévision qui chauffe, la colle des stickers et le benzoate de méthyle (dentifrice américain, décontractant musculaire)
Les bananes Haribo, jaune fluo, crapote la semelle de tennis et le fond de veau
Les mini bombons Mentos…ne sentent rien.
Les « Chamallows » distillent de voluptueuses vibrations de miel, vanille, meringue et sucre filé.
Les crocodiles, aux petits bedons si tendres et si blancs évoquent le parfum d’un baume pour les lèvres, le Dermophile Indien, savant mélange d’essence de Géranium et de baume du Pérou. Oui, oui, les crocos sont bons pour la santé !
Les mûres et framboises de la marque Kréma dispensent un frugal parfum hygiénique de lessive, de draps propres et de petit lait printanier..
La superstar Miss « Tagada », avant de disparaitre en fraise « barbapapa » dans notre bouche, défile auparavant en robe « polenta » (bouillie de maïs) ornée d’un nœud voiture neuve et d’une dentelle flocons d’avoine.
Les minis cachou multicolores au nom incompréhensible, mais subtilement phonétique de « Car-en Sac » ont lardé mon nez d’une kyrielle d’images brèves sans queue ni tête. Je me suis attardée longtemps tête au fond du sac, notant en mode automatique : moquette rase des bureaux, bicarbonate de soude, escaliers mécaniques, colle employée pour les cuirs assemblés en Chine. Un fourre-tout rappelant le caddie de Madame « zezette épouse X », où l’on distingue les odeurs de girofle, badiane, marc de café, poudre de mangue séchée, beurre clarifié, cannelle de chine, poussière, sucre vanillé, eucalyptus et térébenthine. Ouf !
De la lourde poche qui contient une dizaine de sucettes « chupa-chups » s’échappe une odeur de placard à balais, de cirage, de crème Nivea, de thé citron comme on en sirote sur les aires d’autoroutes et d’une fleur : la pâquerette. Je me doute que le parfum citron exprime un simulacre du goût coca-cola, mais pour le placard à balais et la pâquerette, vraiment je ne vois pas…
J’achève cette enquête par la saveur qui me semble la plus évidente à produire : le caramel. Que l’on découvre quand on suçote les galets durs des « Werther’s Original ». Confiante, je penche mon visage dans le sachet couleur soleil, les papilles réjouies, le nez aussitôt penaud. J’ai beau chercher, me référant à l’archétype de cassonade torréfiée stocké dans ma mémoire, je ne trouve pas la symétrie. Aucune concordance. Je tombe sans relâche sur l’arôme du gratin de pommes de terre !
Certes, je commence au bout d’une vingtaine de sachets à saturer et mon nez grimace, mais je ne vais pas abandonner maintenant. Allez zou, encore un petit coup, c’est le sniff de l’étrier ! Graines de sésame, sel, confiture de fraise, et loin, bien loin derrière les tranches de patates, mon blair s’allonge et crochete le signal en filigrane d’un vague reliquat de four chaud et de lait condensé. L’arôme familier d’une cuillère en bois embobiné d’un fil de sucre bruni fragile comme le verre. Me voilà rassurée, je gobe un caramel. Miam. J’ai bien travaillé aujourd’hui.

mercredi 5 septembre 2012

Cabane Perchée


Les pages d’un gros livre tournent devant mon nez, et je soupire.
Ah ! Comme j’aimerai posséder un arbre pour y bâtir à son sommet, un abri en bois.
Photos après photos je me prends à rêver, telle une enfant, d’une cabane perchée, épinglée dans le ciel pour quitter momentanément les odeurs de la terre.
J’irai flairer l’azur, savourer un coin de soleil, inhaler le vent qui vient frotter la cime des arbres, je débusquerai le parfum de la pluie avant qu’elle ne heurte le sol et brouille les pistes. Je découvrirai, peut-être, enfin, le fumet des nuages et le sillage des oiseaux en plein vol. À la tombée de la nuit, je plongerai dans les dégradés de bleus de plus en plus sombres, l’éther pincera mon visage et dans un soupir, je goberai la lune. Quand soudain, la sonnerie du téléphone…


Tiens, on capte à cette hauteur ?
Les ondes, oui.


Le livre dont il est question: 
"Vivons perchés"(A Laurens, D Dufour, G André, V Thfoin), Editions de la Martinière