lundi 5 octobre 2009

Escalier 1

Instantané carte postale au sommet des escaliers de Montmartre, à l’aube, après une nuit passée chez des amis à refaire le monde, avec nos mots et nos silences. J’ai la tête un tantinet embrouillée, les gestes lents et l’esprit serein. Vingt minutes plus tôt j’ai quitté la tribu, mais sur le chemin du retour, mes pas ont dérogé à l’habitude d’aller droit au lit pour récupérer quelques heures d’un sommeil nécessaire. En général, je contourne la Butte depuis le boulevard Clignancourt, puis, tel un Dahu, je glisse de guingois et parviens sans effort jusqu’à ma ruelle étroite, versant Abbesses. Ce matin, je décide de gravir les rues tortueuses et escarpées, attirée par les premiers rayons du soleil, de ce mois de Juin qui me chatouille agréablement le nez. Derniers lacets, rue du Chevalier de la Barre mes pas ralentissent, car je suis essoufflée d’une part, et ensuite parce que je savoure le plaisir d’arriver en catimini dans le dos de Paris, afin de surprendre son état d’esprit au petit matin. Je longe la Basilique silencieuse, je découvre un ciel doux de plus en plus vaste, je distingue les premières griffures des toits, et me voici solitaire, en lisière des escaliers qui déroulent quelques degrés jusqu’au funiculaire, puis se prolongent en une seconde vague qui s’achève au pied du manège des petits chevaux de bois.
Comme le Pont des Arts, les escaliers de Montmartre sont balayés par un vent régulier toute l’année, qui autorise si on s’attarde un peu, d’inhaler les effluves intimes de la grande ville. En ce tout début d’été, au milieu d’une journée ensoleillée, l’air se charge des éclats métalliques des toits en contre bas, puis à chaque marche il s’enrichit du parfum des touristes, des arômes des nourritures nomades, et des effluves des jardins alentours. On peut enjoliver cette description de quelques relents de térébenthine, échappés des tubes de peintures des artistes de la place du Tertre. Mais là, mon nez vous mène en balade. Car le vent ne s’offre pas de tel détour, et je ne possède pas une telle capacité de perception !
Mais à cette heure vraiment matinale, l’atmosphère est particulière. J’éprouve une confortable sensation d’abandon, l’impression de flotter au dessus des toits de Paris. L’agitation des rues et des boulevards, demeure pour quelques instants encore, un murmure agréable. Les odeurs sont assoupies, volutes souples et langoureuses. Enfilades de molécules qui se déploient doucement, prudemment, comme on étire ses bras au dessus de la tête le matin au réveil. Soupir de bien être paisible, lorsque notre souffle s’échappe de nos poumons endormis. Paris respire. Je suis assise sur les marches, attentive et discrète. Surtout, ne pas être importune. Oubliez-moi, je vous renifle.
J’embrasse les toits, je contemple les tuyaux biscornus du Centre George Pompidou, je devine les méandres de la Seine, je repère l’aiguille affûtée de la Tour Eiffel. Bien sur, je ne peux pas sentir l’odeur de tous ces monuments, mais mon esprit s’amuse à composer une petite rengaine parfumée. Une ritournelle, où il est question de brume bleutée, un peu froide et frissonnante ; d’un ruban souple, à l’odeur mouillée et scintillante, pour évoquer le fleuve et les rues fraîches ; de quelques traits verticaux à l’odeur de fenouil et de ronces, pour suggérer le remugle des poutres et des tubes en métal. J’aime imaginer que mon nez capture la texture des fibres, échappées des centaines de rouleaux au repos, des tissus du Marché Saint Pierre, vaste immeuble aux parquets usés par les piétinements des clients de passages. Parfum complexe et désuet, de ouate poussiéreuse, de teintures neuves, de résines, et de bois vernis.
Soudain, monte jusqu’à moi une saveur froide, minérale, presque âcre, comme la peau d’une banane verte. En contre bas, j’aperçois les aller et venues des véhicules d’entretien qui arrosent copieusement les rues pavées, afin de les débarrasser des déchets de la veille, pour les livrer luisantes aux touristes qui se promèneront le nez en l’air, appliqués à ne rien perdre de vue. Plus proche de mes narines, les relents amers de mégots oubliés sur les marches, un chewing- gum à la menthe douce terriblement sucrée, qui forme une tache molle à ma droite. Une mignonnette de porto, abandonnée sans capsule, vide évidemment, dont je perçois les effluves boisés caramélisés, de sucre non raffiné. Une canette de Coca Light, dont je reconnais la note acidulé et métallique de l’aspartame, lorsqu’il à prit un coup de chaud. Quelques marches plus bas, c’est un Orangina. Trop éloigné pour que je débusque son odeur, mais je sais que cette coquille vide émet à ce stade, un reliquat essoufflé de vomit acidulé, lointain écho de sa forme précédente, d’orange vitaminé au goût de sirop gazéifié.
Je ne devrais pas laisser mon nez traîner trop près du sol, mes idées prennent une tournure moins romantique.
Allez, zou ! Il est temps d’aller dormir…

18 commentaires:

  1. Merci pour cette belle balade matinale tous sens dehors..
    je suis ravie d'avoir découvert votre blog via Café mode.
    J'ai beaucoup aimé le post précédent...fichtre 1 euro tout de même la pissette
    je garde un souvenir attendri des sublimes toilettes du Crillon...gratuites en plus..et du beauty room chez Harrods (payant aussi..eh oui)

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  2. Bonsoir Lala Ema,
    Merci beaucoup pour votre commentaire. Je suis ravie de vous avoir offert un moment de balade dans Paris. Je connais peu l'Espagne, et simplement Barcelone, très cosmopolite et touristique. J'ai quelques clichés olfactifs de Tapas !!
    Avec tous les commentaires sur les petit coins des Palaces, je n'ai vraiment plus le choix, je dois partir en grand reportage :))

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  3. L'autre jour on me parle d'une opéra d'arômes,
    http://www.guggenheim-bilbao.es/secciones/actividades/actividad_reserva.php?idioma=fr&id_actividad=432

    Mais peut-être vous etes déjà au courrant ;-)!

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  4. Bonsoir Acaislim,
    c'est moi qui vous remercie pour votre lecture.

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  6. Bonsoir Anonyme,
    Non je n'etais pas au courant de cet evenement, mais c'est une bonne idée de spectacle.Mêler les odeurs et les sons. Car on a trop tendance à utiliser les images, ce qui freine l'imaginaire...En tout cas, merci pour l'info:))

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  7. J'adore ce changement en été lors du passage des arroseurs de la Ville.
    Une rue qui il y a un instant encore sentait la chaleur et les résidus d'une nuit d'été et qui devient fraîche et neutre au passage d'une petite camionnette.
    Malheureusement pour être debout à cette heure matinale je suis soit complètement saoul, soit en retard pour un train. Dans les deux cas, je n'ai pas le temps d'apprécier.

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  8. Tu devrais organiser des VOG, visites olfactives guidées...

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  9. Bonjour Vinvin,
    Tentes en hiver, le jour se lève plus tard....

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  10. Bonjour La Flore,
    Ces visites existent, elles ont été imaginé par "Détour des sens". Le lien est dans ma liste de "blog de nez". Visite des lieus Parisien qui possèdent une mémoires parfumées.
    Je me suis inscrite pour une balade, je t'en dirais des nouvelles...

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  11. Avec plaisir, je sens que cela pourrait me plaire. Bon week end, chère nez, et prends garde à toi en ces temps de rhumes;

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  12. Bonjour Celine, j'étais déjà passée par ici voici quelques jours, j'y reviens avec grand plaisir, je n'avais pas fait attention au nom que tu portes et c'est samedi en revenant de là
    http://thedreamsofourlife.blogspot.com/2009/10/les-senteurs-viennent-dailleurs-chez.html

    que je me suis dit qu'il ne pouvait y avoir aucune coïncidence, le monde est vraiment petit en tout cas.
    Si Monsieur Jean-Claude est de la même famille que la tienne, je serais heureuse que tu lui fasses part de mon grand contentement, j'aime l'Eau d'Hiver et elle m'aime aussi paraît il, "je sens bon" m'a dit mon fiston de 8 ans !

    Bonne journée !

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  13. C'est vrai que c'est magique Montmartre le matin de bonne heure quand tout est calme et que l'on peut contempler la lumière de Paris. On a l'impression d'avoir la ville à soi!

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  14. La Flore,
    Oups, bien trop tard pour dire bon wouik à toi aussi !

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  15. Bonjour Valérie,
    Hé oui, nous sommes un peu de famille...Jean-Claude est mon cher papa !Merci pour ton compliment pour l'Eau d'Hiver, je le lui ai transmit...en lui faisant lire ce dernier post !;)

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  16. Bonjour Alice,
    Je ne te connaissais pas un appetit si grand...je plaisante, je comprend tout à fais ce que tu ressents.

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