mercredi 26 mai 2010

Métro 8

Trajet sans histoire. Roulement sourd de la trame qui creuse son chemin en souterrain. Je bouquine pour tracer le temps. Quelques écrits de Francis Ponge qui évoquent le coquillage «petite chose (…) posée sur l’étendue de sable » et la vanité des hommes architectes. Je suis concentrée sur les mots, les ondulations et la sonorité, car l’exercice est nouveau. Je n’ai point l’habitude de cette littérature. J’échoue plusieurs fois sur un bout de phrase dont je tente d’appréhender la saveur, quand sous mon nez comme une vague, ruisselle un parfum de plage. Chaude et onctueuse, merveilleusement ensoleillée. Je bute sur la saillie, un grain de sable vient de brusquement s’y loger. Je me retiens de relever mon visage, renifloir aux aguets, afin de découvrir l’origine de l'onde. L’attention crochetée à mon récit obscur, j’attends patiemment le prochain mouvement du métro qui provoquera un bref ressac parfumé. L’air frissonne et soudain l’effluve lumineux vient se frotter contre moi. Amusée, je découvre que les molécules odorantes se transforment en mots et éclairent le passage où je tâtonne. Salicylate, Iso eugénol et vanilline. J’insère une variante au livret original. Et je m’éloigne du sujet. Sel. Tiaré. Ambre solaire. Promenade tranquille, sentiment de vacance. Je ne suis plus dans le métro. J’ai oublié le propos de l’écrivain et son désir d’éprouver la « Parole » de l’homme, comme seul monument mesuré. J’ai perdu le fil du récit, distraite une nouvelle fois par mon nez…Les portes se referment. J’ai également raté ma station !

Francis Ponge
Le parti pris des choses, suivi de Proêmes.
Edition : nrf, Poésie/Gallimard

6 commentaires:

  1. Rêvasser dans le métro n'est pas vraiment conseillé. Rater sa station est un moindre mal.

    Merci pour ce proëme.

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  2. Bonjour Céline! Moi aussi j'adore Francis Ponge! J'y pense à chaque fois que je porte un parfum au mimosa (avez-vous lu "la rage de l'expression" avec son poème sur cet arbuste, une vraie petite merveille?), c'est tellement gai et frais! Sinon, le parfum, je suis curieuse, c'était Songes d'Annick Goutal? Je l'adore...

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  3. Merci vinvin,
    Et malgré tout je tiens à rêvasser partout et quand je peux...indispensable besoin d'évasion !

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  4. Bonjour Muguette,

    J'avoue je n'ai pas cherché à trouver le nom u parfum...juste à en apprécier l'atmosphère !

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  5. Bonjour Céline,

    Merci pour ce texte de Ponge... c'est un peu ma madeleine pour mes années lycées. Je me souviens notamment de celui sur l'orange "Comme dans l'éponge il y a dans l'orange une aspiration à reprendre contenance après avoir subi l'épreuve de l'expression. Mais où l'éponge réussit toujours, l'orange jamais: car ses cellules ont éclaté, ses tissus se sont déchirés. Tandis que l'écorce seule se rétablit mollement dans sa forme grâce à son élasticité, un liquide d'ambre s'est répandu, accompagné de rafraîchissement, de parfums suaves, certes, -- mais souvent aussi de la conscience amère d'une expulsion prématurée de pépins" ==> ca m'évoque tellement de parfums un peu hespéridés, sucrés avec un brin d'amertume.

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  6. Bonjour Geraldine,
    Oui, ce texte de Ponge est odorant et sensuel, et un peu cruel, aussi...toute l'ambiguîté de l'auteur

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