jeudi 3 décembre 2009

Après la pluie

L’autre jour dans le métro j’ai pleuré.
Rien de bien grave, une matinée un peu difficile. De l’orgueil froissé, un peu de découragement, et l’envie d’être quelques instants Caliméro. Lorsque l’on pleure dans le métro on n’est pas seul, mais tout le monde vous ignore gentiment. Par pudeur. Je ne suis pas la première qui sanglote en silence sur la banquette, et en général tout ce passe bien. Le métro permet de verser une larme sans solitude, au creux des autres, sans être dérangé par une sollicitude déplacé, inopportune, ou hypocrite. Un vrai chagrin par contre peut gêner la foule indifférente, qui ne sait si elle doit vous prendre dans ses bras ou vous ignorer davantage. Et en général personne ne tente rien, on ne sait jamais. Pourtant, je me souviens avoir donné un paquet de kleenex à un jeune homme, qui se noyait dans sa morve comme un naufragé. Le sachet lui est tombé dans les mains, tel une boué. Je n’ai pas résolu son malheur, il a simplement abordé au sec une rive meilleure …
Lorsque l’on pleure, on a beaucoup de difficultés à sentir. Je ne vous apprends rien. Trop de liquide, et surtout, toute l’attention portée sur son nombril, non vers les autres. Le nez est en boucle fermée. Lorsque le chagrin, les larmes et les mucosités sont enfin évacuées, le nez est tout neuf, tout propre. Et là, c’est très bien. Pour les gens bizarres comme moi.

Dans le métro après mes larmes, je me suis arrangée pour que mon nez soit pimpant, au moment où j’ai émergé à l’air libre, place du Palais Royal. J’ai humé la pierre du Louvre légèrement acide, les facettes édulcorées des longues affiches plastifiées qui déroulent leurs annonces, au dessus des arcades marquant l’entrée du Musée. La pluie venait de s’interrompre, si bien que la ville était rincée, comme mon nez. J’ai porté mes pas sous le porche central du Louvre. Brève odeur un peu rance, des multitudes de couches de déjections des voitures qui s’accumulent depuis des années, et celle rude et piquante d’urine humaine. Retour rapide à la lumière, sensation étonnante de chaleur, et de moiteur ; le soleil revenu, l’humidité du sol s’évaporait en volutes parfumées depuis la cour et les jardins. Puissante odeur des bordures de buis au parfum caractéristique de pisse chaude, de chat mâle qui marque son territoire : sucrée et fruitée comme la liqueur de cassis, boisée et sèche comme l’ortie. J’ai hésité entre poursuivre mon chemin vers les jardins, ou pointer mon nez vers la Pyramide. Les effluves du palais ont finalement emporté ma préférence. J’ai soudain pénétré au cœur du monde touristique grouillant. Fouillis aromatiques et poisseux de chewing-gums. Magma odorant de cheveux mouillés, de crème solaire, de transpiration saine à l’odeur de schweppes ou de carvi. Remugle amère et poivré des baskets à grosses semelles en caoutchouc. Emanations un peu acide des anoraks humides, associés en contre point aux tee-shirts en coton blanc, à l’âpre saveur de calcaire.

Paris cet été, centre de l’univers touristique….
J’ai oublié Caliméro
J’aime bien cette humanité odorante.

17 commentaires:

  1. Belle note, publiée avec le recul et l'adoucissement du temps. Derrière le nez, une âme...
    Paris en été : il y a quelques mois je me faisais la réflexion que les odeurs, forcément plus fortes, celles des herbes sèches, de l'eau et des ordures donnaient à Paris un petit air de Sud. Peut-être plus efficacement que Paris-plage...

    RépondreSupprimer
  2. Comme c'est beau ....
    Vous écrivez tellement bien qu'on a vraiment l'impression de ressentir et sentir comme si on y était !
    J'aime beaucoup votre façon de voir le monde avec votre odorat ... D'habitude c'est toujours par les yeux qu'on regarde son environnement mais là c'est comme si vous le regardiez avec votre nez ;et on se dit en vous lisant : tiens c'est vrai , ça sent comme ci ou comme ça ...
    J'aime mettre des mots sur des odeurs mais c'est assez difficile ...Vous , vous en faites de la poésie ...
    Merci ;-)

    RépondreSupprimer
  3. Bonjour Céline.
    C'est étonnant : le buis évoque à beaucoup de gens cette sensation âcre, voire désagréable de pipi de chat. Moi, pas du tout.
    En fait, je me suis rendu compte de cela en discutant avec Thierry Wasser qui a été assez surpris lorsque je lui ai dit que le buis était une de mes odeurs (sinon mon odeur) préférées.
    Pour moi, c'est une note verte et vivace très plaisante. Cela m'évoque le retour du printemps, lorsqu’on peut visiter les jardins et les parcs des châteaux. Quand je sens le buis en ville, c’est une odeur incongrue et délicieuse, une impression de soleil et de verdeur dans la grisaille urbaine.
    Pourtant je connais plein de gens qui n’aiment pas du tout cette odeur.
    Mais, comme dit le proverbe : des goûts et des couleurs, on ne discute pas…
    Nicolas

    RépondreSupprimer
  4. On est accro aux parfums parce-qu'ils me consolent de tout, non? Alors quelle ingratitude de laisser un Nez sécher ses larmes dans la solitude!
    Muguette

    RépondreSupprimer
  5. Bonjour respirervoir toucher,
    Donner le temps au temps, pour s'offrir une belle patine...;)
    Merci pour votre commentaire, et bonne chance pour votre propre blog.

    RépondreSupprimer
  6. Bonjour julita 54,
    Merci pour votre mot qui me touche. Les mots que j'utilise sont les même que les votre. Tout peut être dit quand on parle de parfums ou d'odeurs. Il s'agit de nos sentiments, de nos souvenirs et d'un peu d'imagination.Notre métier possède son propre vocabulaire,c'est vrai, mais quel interêt si la conversation ne concerne que quelques uns, pour un sujet si vaste qui nous touche tous ?

    RépondreSupprimer
  7. Bonjour Nicolas,
    Le buis possède une belle odeur de caractère...qui parfois nous fais froncer du nez! Je comprends ton attachement à cette odeur citadine,et tu la décrit très bien.
    Mais ce n'est parceque je parle d'une odeur en utilisant un mot qui possède une connotation péjorative, que je ne l'apprécie pas :)le pipi de chat( bourgeon de cassis, buchu...), comme les odeurs animales, fécales, dans les parfums, je ne t'apprend rien, sont délicieuses, souvent indispensables, et malheureusement on joue de moins en moins avec ces tonalités.

    RépondreSupprimer
  8. Snif, snif ;)
    Qui n'a pas euun jour, son petit coup de calcaire...?
    Rassurez-vous Muguette je vais très bien! Et puis vous êtes tous là, à lire mes délires olfactifs,à m'offrir vos commentaires enthousiastes... donc tout va bien :))

    RépondreSupprimer
  9. Tu en parles si bien de cette humanité odorante : c'est si difficile a traduire en mots.... Depuis que je lis ton blog, j'ai de plus en plus envie de participer à un atelier de "senteur", de découvrir cet univers si particulier

    RépondreSupprimer
  10. The Belleville Girl6 décembre 2009 à 10:51

    Comme d'habitude, une très belle chronique, qui réveille de vieux souvenirs...
    Je me souviens avoir pleuré également une fois dans le métro, un trop-plein de chagrin dû à la perte d'un être cher, et ce sentiment curieusement réconfortant de savoir qu'on est seul au milieu de la foule, mais que des inconnus silencieusement bienveillants seront présents pour apporter leur réconfort si on en manifeste le besoin.
    Heureusement qu'après la pluie, le soleil !

    RépondreSupprimer
  11. La patine est un mot que j'aime énormèment, pour tout ce qu'il évoque et tout ce qu'il suggère. Merci pour vos souhaits de réussite. Vos écrits ne sont pas pour rien dans cette envie et ce passage à l'acte.

    RépondreSupprimer
  12. Bonjour Miss Zen,
    Il existe en effet des ateliers de senteurs.Ceux-ci vous permettent de découvrir les familles olfactives, quelques matières premières de synthèses et naturelles, et vous permet souvent de créer un accord de parfum.Je ne peux vous en recommander un en particulier,car je n'ai participé à aucun, mais n'hésitez pas à consulter les commentaires des amateurs sur différents blogs.

    RépondreSupprimer
  13. Miss Zen,
    J'ai employé le vouvoiement, mais c'est l'habitude...la prochaine fois je passe au "tu" !:)

    RépondreSupprimer
  14. Bonjour Belleville Girl,
    Merci pour vos souvenirs....nous sommes "une foule sentimentale"

    RépondreSupprimer
  15. C est bien je tape pluie de clémentine et je me retrouve ici... rien à voir avec la semoule.
    Bonjour. J arrive je lis "profane", "vous ignore gentiment", "métro", "sollicitude déplacée", "se noyait dans sa morve"...
    C est un peu comme les odeurs, on tombe dessus au hasard de la vie, on a rien demandé, elles ne nous sont pas forcément destinées, mais on se les prend quand même dans la gueule...
    J avoue que cette "fragance" de suffisance irrite autre chose que mon nez.
    Vous avez pris la liberté d'écrire, je rpends la même.

    RépondreSupprimer
  16. Bonjour Carmiline
    Bienvenue à votre libre arbitre et liberté d'expression.Votre arrogance n'est pas mal non plus ! C'est le principe de ce mode d'expression: on ne sait pas trop dans quoi on met les pieds ( de la semoule ou autre chose) ou sur qui l'on tombe: des suffisants, des arrogants ou des ignorants. Mais le plus souvent, sur des gens aimables...heureusement !

    RépondreSupprimer