Novembre. Cimetière et Halloween. Tombe et citrouille.
Un post au jus de trouille !
Souvent, je me suis amusée à créer des parfums de minerai, des odeurs de potiron. J’essaimai au long des couloirs, entre les bureaux, par-dessus les étages, mes petits pots parfumés rangés dans mon panier, déterminée à les glisser sous le nez des évaluatrices ou des commerciaux. Qu’en pense ton nez ? Il est frais mon caillou ? Et ma citrouille, n’est-elle pas gironde ? Si, si, ça sent bon, mais à quelle fin ? Bah ! Des objets de cire, pourquoi pas. Mèche et bougie. Petite flamme et ambiance marine pour l’un, fleur des îles pour l’autre. Ne cherchez pas une signification quelconque, ce sont des histoires de marketing. Mes parfums de météorite ou de kryptonite connurent un succès d’estime qui n’a pas dépassé le seuil de l’entreprise : rigolo, hyper créatif, mais impossible à porter. Imaginez-vous affublé d’un pull de roche…ça gratte un peu, non ?
Novembre. C’est l’anniversaire du cimetière.
À Paris le Père-Lachaise s’étire au soleil, son odeur est douce, un peu miellée, rassurante. Le cimetière de Montmartre git au fond d’un trou, à l’ombre. Les chats sont nombreux. L’odeur de la pierre et de l’humidité fiche la trouille.
N’ayez pas peur. Attardez-vous dans les cimetières, rendez visite aux meubles immobiles : asseyez-vous sur une tombe en demandant auparavant la permission à la personne qui se trouve en dessous.
Respirez l’ambiance. Rien de morbide.
Souvent ces lieux, ouvert et uni, sont balayés par les vents, les courants d’odeurs. Les parfums s’en donnent à cœur joie. Combinaisons spontanées, hasardeux mélange minéral et végétal, d’ombre et de lumière.
Si vous souhaitez fuguer à l’automne, rendez visite au vieux cimetière du village de Château-Double dans le Var. Celui-ci tangue sur un éperon rocheux au-dessus d’une gorge fine qui mène jusqu’à la mer. Les tombes sont usées par la pluie drue et le soleil cru, les ronces forment dentelles et les cyprès larges et noirs, veillent, tels des chevaliers sans peur et sans reproche. La grille d’accès grince comme au cinéma et, sous vos pas, le gravier blanc croustille dans le silence comme des brisures de gâteau sec. La nuit, je n’irai pas. Trop la trouille. Mais un beau jour de novembre, le lieu est propice à la rêverie olfactive. La fumée des feux de broussailles se tortille jusqu’au sommet du promontoire évoquant des odeurs de coton, de jeans, de tarte aux mûres, et de bacon grillé. Les ronces libèrent à chaque frottement contre les pierres tombales un parfum de tabac et de noix de coco que je traduis aussitôt par Héliotropine + Gamma Octalactone. Une narine sur la brèche, le vent me taraude. Mon nez se refroidit rapidement et je ne sens plus rien. Je m’éloigne de la bordure de pierre qui retient les tombes en lisière du vide et je m’installe au soleil sur un rectangle de granit anonyme. Je papote un peu avec son occupant tout en me traitant de fofolle superstitieuse. La végétation alentour arborent ses plus beaux atours, tonalités citrouilles et amarante, tandis que je discerne l’amertume pamplemousse, caractéristique des térébinthes qui pullulent dans cette région. Non loin de mon épaule, un bosquet noir de laurier « sauce » pulse des vagues aromatiques. Je me rends compte que l’odeur du laurier est très proche de la saveur de la cardamome saupoudrée de cannelle. Une bourrasque m’apporte un reliquat de chêne sombre et moite, vétiver et helional, un vestige de bois de cade, résine et vanille, un savoureux effluve de lentisque, pointu et vif comme un combava. J’imagine le vent s’engouffrant dans le défilé, frottant les aspérités, ricochant sur les parois tandis qu’il dérobe pêle-mêle les sucs et les feuilles, les poussières et les brindilles, pour disperser à la fin de sa course, chaque jour en toutes saisons, son chapardage sur les stèles. Offrande évanescente. Âmes insaisissables s’abstenir.
Repue d’odeurs et de soleil, je ferme les yeux et m’assoupit. Soudain, mon nez toque et désosse une volute inédite, artificielle et chantournée : une eau de toilette. Ah ! Mais que vient-il faire ici celui-là ? Pas moyen d’être tranquille. Une femme. Anthranilate de méthyle, salicylate, musc macrocyclique, harmonie ambroxan/sandalore, labdanum en trace. Moderne….ou tendance vintage. Chloé, Amaridge, J’Adore…. Paupières closes, je consulte ma liste perso dans mon fichier cerveau, menu EdT, égrenant les possibles, éliminant au fur et à mesure les différents candidats qui s’affichent sur l’écran de ma mémoire olfactive à raison d’un détail, fruit, patchouli, rond, tubéreuse, lys, qui concorde ou non, avec les signes ténus qui s’échappent du ruban odorant qui s’effiloche, invisible, entre les pierres tombales. Intriguée, je décide de jeter un œil sur la visiteuse et de me lever afin de poursuivre mon chemin. Je ne souhaite pas être prise en flagrant délit de sieste dans un lieu de mort, quand j’interromps mon geste, en équilibre genoux fléchit, puis retombe assise et indécise, car il n’y a personne.
Juste un fantôme de parfum.