vendredi 23 avril 2010

Fnac

Parfum de mots. Effluves littéraires.
La belle histoire !

Mais la réalité reprend ses droits : relents de climatisation, remugles de moquettes grises, flux des escalators. Bienvenue dans la culture tout azimut !

Chaque Fnac possède sa propre identité olfactive. Je ne les fréquente pas toutes, mais je me souviens de celle des Halles, à une certaine époque, avant les grands travaux de transformation. J’avais systématiquement le sentiment de revenir dans le vieux gymnase du collège, ou d’être caché dans le cellier de ma tante. Un parfum complexe et tenace composé de la transpiration de milliers d’orteils fatigués, d’une sourde odeur de pomme de terre germée, et de relents de serpillière rincée à l’eau de javel parfum eucalyptus. J’imagine que ces volutes de camphres et de menthol provenaient d’un désodorisant censé assainir l’atmosphère terriblement moite. L’odeur du papier, des reliures et de l’encre ne faisaient pas le poids !

Aujourd’hui je furète entre les rayons. Hésitante. Je soupire, ne parvenant pas à me décider. Polar. Classique. Fantastique. Facile. Intello, pour la musculation des synapses. Mes doigts glissent sur des colonnes de couvertures aux titres accrocheurs. J’attrape un livre et, d’un geste machinal j'en déploie les pages tel un éventail, afin de savourer quelques phrases saisis au hasard. Tiens. Chatouilles. Je change de seuil de lecture, et répète le mouvement à quelques centimètres de mon nez. Tulipe. Image spontanée. Derechef le papier crépite, provoquant un léger remous de vent, chargé de l’haleine des pages imprimées. Je tends mon odorat pour débusquer quelques mots supplémentaires. Bouchon de liège, bois usé, flageolets, farine complète, froid, amer, piquant…un peu. Edition Grasset. «Cette étrange idée du beau» de François Jullien. Parfum grave et compassé, patiné, séduisant. Peu m’importe la quatrième de couverture. L’odeur me convient. Je poursuis, amusée, mon marché sur le mode olfactif. Je longe la rangée des meilleures ventes du moment. Un gros cœur rouge posé sur une robe en vichy bleu attire mon attention. Le titre est surprenant «Le mec de la tombe d’à coté», de Katarina Mazetti, collection Babel chez Acte Sud. Je penche un nez prudent tandis que j’ouvre le livre comme un accordéon. Les pages défilent et ronflent sous mes narines. Je découvre un arôme doux de confiture de framboise et de vanille ratatinée de synthèse. Dans les plis je perçois également un reliquat éventé de poudre de clous de girofle. Un parfum d’œillet. Fleurs de cadavres ou mièvrerie dégoulinante ? Je repose l’exemplaire sur l’étagère, et porte mes pas vers le quartier des intrigues policières. Romans noirs. Effluves sombres ? Trop simple, bien sur : intrigue sans saveur, dénouement sans surprise. Un petit coup de nez pour m’en assurer. Bouquin en noir et blanc, édition Viviane Hamy. «Sous le vent de Neptune» de Fred Vargas. Ils s’échappent d’étranges volutes fraîches et diaphanes. De vapeur de riz. De linge en coton frotté à la lavande et au poivre de Sichuan. Propre et sans danger. J’attrape un poche coloré, au dessin asiatique : Robert Van Gulik « Trafic d’or sous les T’ang » 10/18 grands détectives. Les feuilles crépitent en un chapitre entièrement dédié aux saveurs douces amères du cœur d’artichaut, humecté d’une larme d’huile d’olive.
Je termine ma promenade au rayon cuisines. Belles images. Agréables descriptions. Je dévore quelques recettes aux ingrédients appétissants au point d'oublier de laisser trainer mon nez entre les pages. Mon esprit est envahit d’arômes imaginaires très agaçant. Il est temps de régler mes achats, puis d’aller casser la croûte au bistro du coin, en compagnie de mon livre.


jeudi 15 avril 2010

Métro 7

Une voix douce et musicale
dans mon dos. Une mélodie étrange.
Vous pouvez m’aider ?...Me donner quelque chose ?
Tu m’aides ? C’est Chantal…
Tu me donnes quelque chose ?

Puis l'odeur de la misère
Sillon discret. Marquant.
Chantal donne, généreusement.

Son odeur de pauvreté. De corps mal lavé et de vêtements usés.

Tu me donnes quelque chose ?
Vous pouvez m’aider ?...Me donner quelque chose ?
Tu m’aides ? C’est Chantal…

Sillonne la rame interminable
Car maintenant il n’y a qu’un unique wagon.
Sa voix s’éloigne

Tu m’aides ? C’est Chantal…
Tu me donnes quelque chose ?

Je n’entends plus sa voix, mangée par les grognements du train
Mais son odeur de misère reste dans l’air, flotte autour de nous. Terrible et douce.
Je ne l’ai pas aidé, je ne lui ai rien donné. Mais j’ai conservé son odeur. Dans ma mémoire.
Et son prénom. Chantal.

Ce n’est rien. Ça ne l’aide pas.